Ici des pintades sauvages picorent directement sur la route, obligeant le chauffeur à lever le pied, là des springboks et autres phacochères détalent apeurés par le vacarme de notre véhicule, propre à déclencher un arrêt cardiaque chez un inspecteur du contrôle technique !

Premier jour : du bitume aux gués.
L’organisation est « à l’allemande », comprenez qu’il n’y a pas de place pour la moindre approximation, premier paradoxe dans ces territoires où il semble que la règle justement soit d’improviser, et le programme alléchant : 2 000 km de pistes répartis entre désert sec, dunes, montagne et bord de mer. Miam… ! Pour patienter, distribution de sacs étanches et de « Camelback » et petit topo sur les « dangers » de l’Afrique : scorpions, serpents et une liste plus qu’exhaustive sur tous les insectes qui piquent, mordent, pondent des lentes dans vos cheveux, et on en passe… Le lendemain matin, me voilà sur le pied de guerre, bien avant l’horaire fixé, engoncé dans mon équipement enduro tout neuf et déjà en train de transpirer (il fait presque 30 °C à 8 h 30.). Je récupère ma F 800 GS raide de neuve (elle n’a pas 3 km !), d’un bel orangé brillant, sans aucune préparation particulière, si ce n’est une paire de gommards « enduro » à tétines énormes ! Au menu du jour, 350 km, dont 50 de bitume et le reste de pistes en terre parsemées de quelques gués, « pour la petite mise en jambes », dixit Helmut, notre guide enduriste. Ça promet… Premiers soucis, sur le goudron, les pneus enduro, ça le fait pas trop ! La moto vibre, le train avant est aussi flou qu’un programme électoral, et l’adhérence sur les routes rendues grasses par les poids lourds préhistoriques est quasi nulle.

Deuxième souci, la circulation… Ici, c’est celui qui a le plus puissant « klaxon » qui s’accapare la priorité. Heureusement, la portion bitumée entre Windhoek et Okahandja est avalée rapidement et c’est maintenant une belle piste qui se présente sous nos roues. Elle est en latérite rouge, et contraste avec la verdure ambiante et le bleu azur du ciel, un vrai festival de couleur auquel il faut ajouter une forte odeur végétale très proche de la… Marijuana (sans rire…) ! La piste est plutôt facile, plate, dure ; elle ne se dérobe pas sous nos roues, mais il est difficile de dépasser les 80 km/h, la faute à une poussière dense qui limite la visibilité. Il y a aussi les nombreux portails qu’il faut ouvrir pour passer, mais surtout bien refermer, pour éviter aux animaux sauvages des migrations incontrôlées. Je commence à me faire à la position « debout », qui demande de serrer les jambes pour « sentir » la moto, quand, ça tombe bien, pointent les premiers gués… Répétition mentale de l’« épreuve » : bien souple sur les jambes, moteur au régime du couple maxi, second rapport enclenché… ça devrait passer. Et ça passe ! Mais pas pour tout le monde. Deux motos sont dans l’eau, et chacun s’affaire à aider les malheureux trempés. Moi, je suis déjà ailleurs : ma moto est couverte de boue, tout comme mes bottes, une poussière fine m’emplit les narines, j’ai chaud. Mais ça y est, mon baptême enduro-aventure est consommé ! Au fil de la journée, tout le monde prend doucement ses marques, nous roulons au rythme infernal de… 35 km/h, mais il est vrai qu’en Afrique, contrairement à chez nous, le temps qui passe n’est pas une valeur essentielle. Au terme de 7 heures de route, nous atteignons notre gîte au milieu d’une réserve animalière, prêts à traquer (des yeux), à la faveur d’un soleil couchant à la Cecil B de Mille, les « 5 majeurs » comme on les nomme en Afrique, à savoir le lion, le buffle, le rhinocéros, l’éléphant et le jaguar…

Deuxième jour : objectif désert.
C’est perclus de courbatures que la plupart d’entre nous se présentent au briefing, qui nous promet une grosse journée. Un soleil de plomb et 500 km à parcourir à travers le désert et le long de la côte, via Homaruru, Uis, Kamwandi et Swakopmund. Qu’importe, en attendant je retrouve avec plaisir ma F 800 GS belle comme tout, maculée de poussière rougeâtre et d’insectes sacrifiés sur l’autel de l’aventure. La piste est large, on y croise de gros 4x4 japonais et anglais chargés comme des mules. La poussière qu’ils soulèvent nous oblige à ralentir. Dans ces conditions, on distingue mal les bords de piste tant le relief est… sans relief ; tout est noyé à perte de vue dans une poussière blanche. Dans cet environnement hostile, il faut être attentif, aussi bien à soi qu’à la moto, boire beaucoup, se méfier des mirages provoqués par la chaleur au ras de la piste, rendre la main quand la température moteur grimpe et surtout ne pas s’isoler du groupe. Le désert ne se livre pas au premier prétentieux venu, il faut savoir le respecter avant de l’affronter… Kamwandi en vue, c’est le bord de mer qui approche, et avec lui une température plus douce et humide, un vrai bienfait après la fournaise des terres. Nous longeons la côte en direction de Swakopmund, sur une étrange piste faite de terre et de sel de mer compacté, un revêtement pour le moins glissant sous nos tétines durcies par le refroidissement de l’air. C’est à la tombée de la nuit que nous arrivons à Swakopmund, une station balnéaire sans charme, véritable dortoir pour Germains en goguette. La seule fausse note de ce voyage, tant on se croirait dans une ville anonyme d’Allemagne !

Troisième jour : objectif dunes.
Retour dans les terres, cap au sud-est, direction Sossusvlei, une curiosité géologique composée de 40 dunes de sable du Kalahari voisin (Botswana). Mais avant de se pâmer devant cette merveille de la nature, encore 600 km de piste ! Chaque jour, la dose augmente ! Peu après notre départ, Helmut décide de nous emmener sur la « Dune 7 », à la sortie de Walvis Bay, pour une leçon d’enduro dans le sable… Imaginez une dune en forme de cirque de près d’un kilomètre de rayon, haute de 150 mètres, avec accès libre à tous véhicules. Pas le genre de plaisir qu’on peut s’offrir tous les jours ! Seul hic : Gavin, confrère sud-africain, y laisse une petite clavette ! Nous retournons donc sur la piste qui se fait plus rouge avec le passage du canyon de Kuiseb, une véritable oasis de verdure et de fraîcheur que creuse depuis la nuit des temps la rivière Nosgomab, source de toute vie alentour.
- Ce troisième jour est aussi celui des premiers coups de pompe. Les réveils très matinaux (avec le jour à 5 h 30 du mat’) et les kilomètres ont érodé les énergies. Rouler à bonne allure devient difficile et les fautes d’inattention se multiplient. Il est temps d’arriver à Sossusvley. Baignée par une lumière de fin de journée, la vallée est digne d’un tableau de Van Gogh. Jamais vu un truc aussi beau !

Quatrième jour : mousson et gadoue.
L’heure est venue de retourner vers Windhoek, au nord-est, par une piste réputée difficile. Et comme un malheur n’arrive jamais seul, une véritable mousson tropicale s’abat sur notre troupe ! Un orage d’une telle violence qu’il est pratiquement impossible d’avancer, la moto se « plantant » dans une latérite devenue gadoue collante. Les 75 ch du twin parallèle ont bien du mal, et la moyenne tombe : en 3 h 30, nous n’avalons que 50 km… et beaucoup d’eau ! Ici, quand il pleut, le mieux est encore d’attendre que ça passe. La preuve, nous étions les seuls à nous aventurer sous ce déluge, les locaux se contentant de nous regarder nous débattre avec une piste rendue infernale ! Nous finissons, nous aussi, par abandonner notre vaine quête et je me dirige vers une échoppe locale. Walalapo, interjette la commerçante tout sourire, « Voulez-vous un café chaud ? », me lance-t-elle à la vue de ma mine déconfite et marquée par l’effort. ? N’ayant pas de monnaie sur moi, je lui signifie mon embarras. « Tu me payeras plus tard ! Si Dieu t’a emmené jusqu’ici aujourd’hui, il te ramènera un jour, tu t’acquitteras de ta dette à ce moment-là », me répond-elle. Que dire de plus…

Une fois le chaud breuvage ingurgité nous repartons sur Rehobot, dernière partie « terre », ou plutôt « gadoue » du périple. L’arrivée d’une belle nationale bitumée sonne alors comme une récompense. Un dernier jour de route mémorable pour tout le monde : jamais nous n’avions vu autant de flotte tomber dans un temps si court !
- Mais c’était aussi l’occasion de vivre un déluge d’émotions fortes, une formule qui résume assez justement ce périple. Comment ne pas s’émouvoir, en effet, devant la beauté qu’offre ce berceau de l’humanité, comment ne pas apprécier ces gens capables de tout donner, alors qu’ils n’ont rien ? Comment, a contrario, ne pas s’indigner de ces chasseurs venus d’Europe, prenant l’Afrique pour une aire de jeu et traitant les locaux comme des larbins, ou ses hordes de touristes, indifférents à tout, passant leurs soirées à boire de la bière sans retenue ?
- Notre organisateur, lui, a su nous épargner ça, préférant les traditions locales, merci ! Quant à la F 800 GS, elle s’est imposée comme l’outil idéal pour le néo-enduriste que je suis. Et à chaque fois que j’en croiserai une au détour d’une route, certain que je ne la regarderai plus tout à fait comme avant. L’amour, ça commence souvent comme ça…

Publicité

Commentaire (0)

Infos en plus