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Le mur de la mort : c’est parti pour un tour de piste ! Le mur de la mort : des conseils judicieux Le murt de la mort en direct : la troupe en parade ! Le mur de la mort en direct : tournez jeunesse !

Pensez donc, il s’agit de rouler à l’horizontale dans un cylindre de 7,50 mètres de diamètre qui vous met la tête à l’envers avec autant d’application qu’un tourniquet de jardin d’enfant. Le défi est de taille.
Eh bien, à la rédaction de Moto Magazine, un humble journaliste a accepté de se risquer dans ce pédiluve de l’enfer. François, motard mais aussi acrobate en BMX à ses heures perdues, l’a relevé, et a vécu les 25 secondes les plus terrifiantes de son existence. Il les raconte, maintenant !

Au pied du mur

Lundi 31 mars 2008, 10h. le Grand Raoul et son frangin, le Petit Jean, me font entrer dans une ancienne fabrique de tapis reconvertie en entrepôt sauvage. Le lieu humide abrite le fameux cylindre, impressionnante structure en allumettes…
L’adrénaline monte, je flippe d’autant plus que j’aperçois les deux machines jetées vite fait contre un semi-remorque : deux vieilles 125 mixant rat’s et supermot’ à deux balles. Pas de frein avant, des échappements ressoudés à la va-vite, des repose-pieds trafiqués…
Ça sent plus la Mobylette que la mythique Indian de compét’ (voir encadré p. 118).

Raoul en pousse une vers le Mur. Je le suis, rentre par une porte à double battant qui se referme comme la grille derrière le gladiateur. Sauf que le sol n’est pas sableux mais boisé. De vieilles odeurs d’essence sont encore incrustées. Je regarde le Mur, stupéfait : le plan incliné à 45° qui permet de s’élancer est court comme le short de Bart Simpson. Quant à la paroi de bois, p… qu’elle est droite !

Ça vibre de partout !

Un parfait 90°. C’est clair, il va falloir un peu de temps avant d’en rigoler ! Raoul et son frangin balancent quelques coups de kick. Je grimpe benoîtement l’escalier circulaire jusqu’aux gradins, en haut du trou. Toute la structure se met en branle, et d’office les mecs assurent : ils montent facilement sur le plan et commencent à « se mettre la tête », comme me l’explique Monsieur Vince.
Étrange, cette expression. « Tu comprendras aux commandes… » Vlan ! Vvvroummm ! Jean vient de grimper sur le Mur dans un grand fracas ! Son regard est terrifiant, on sent le mec « comme perdu », alors que moi je le suis vraiment en l’observant. J’évalue le danger… total ! Je descends très, très calmement.

Gilet de cross, genouillères et protège-tibia enfilés, j’enfourche la bécane, une Honda 125 CB Twin de 1981. La selle est moelleuse, le guidon tombe bien dans les mains. Ça me met en confiance, on dirait mon BMX.
C’est la moto de Monsieur Vince, qui est resté pour me donner quelques ficelles… Saint homme ! Un, donc, se mettre la tête. « Tu vas d’abord tourner en rond sur le plan incliné à 45 °. » Plus facile à dire qu’à faire.

Déboussolé

La montée s’opère sans problème, les vitesses passent, mais le cerveau, lui, ne s’habitue pas : tournis assuré ! Mon premier réflexe, c’est de me redresser. Grosse erreur : je me retrouve projeté contre le mur, collé aux lattes. « Là, t’a compris un truc : plus jamais ça ! » Vince est sobre, mais rassurant. Après quelques tours à l’arrache, il me fait comprendre qu’il faudra suivre des yeux les rangées de boulons. Pour les voir, mieux vaut avoir une vision de trois quarts.

Mais franchement, avec le tournis que j’attrape, j’entends plus craquer le bois que je ne le vois. J’accélère à l’aveuglette sur ce plan incliné. Pour monter, faut au moins passer la 3e. À cette vitesse, la tranche du pneu vient en contact avec le mur. Passé ce cap, tout s’inversera… Je m’y frotte, ça tape, c’est les boules ! Dès que je l’accroche, je valdingue et retourne sur le plan incliné. Le tournis s’accentue… Concrètement, c’est comme si je devais prendre appel sur un trottoir surélevé, rouler sur le flanc d’un bus, le tout avec 3 ou 4 verres dans le nez.
Et toute la bande du théâtre est là-haut à se demander si je vais y arriver. J’entends les mecs parler de pari, un fût de bière si je grimpe, on n’est pas si loin de la réalité.

Cinquième tentative

Ma tête tourne toujours, mais je m’y fais. J’affine ma trajectoire, ma vitesse, mon regard sur ce foutu plan incliné, j’attaque la tranche… « À partir de là il faut vouloir », m’a expliqué Vince en m’indiquant la jointure entre le plan incliné et le mur.
Il faut bien se décider à monter. Nnnan, pas cette fois… Chaque touchette est un petit pas vers l’au-delà. Et je redescends. Trois heures que je suis dans ce tonneau, et que je me limite à ce petit mètre de plan incliné. Il va falloir y aller pour de vrai, ou ça va s’impatienter…

Concentration, les mains posées sur le guidon, le regard dans le vague, je ne pense à rien. Silence. Coup de kick. Première, Vlan vlan vlan vlan vlan… Je monte sur le plan, vrrr vvrrr vrrr… Ma tête tourne déjà, pas grave. J’envoie la 3. La vitesse est OK, le pneu biseauté se colle plus ou moins bien à la paroi. « Y’a de ça », dirait Vince, « Y’a plus qu’à », selon moi. Plus qu’à débrancher mon cerveau déjà bien secoué dans ce grand panier d’osier. « Pourquoi j’ai dit oui, merde, pourquoi je fais ça ! » C’est la panique et j’attends une réponse aussi débile que moi pour débloquer mon poignet ! BRRRROUUUUMM !!! 

Sur le mur

Le pneu avant passe sur le mur, tant pis pour la réponse, l’arrière saute et raccroche sur les lattes à 90 °, j’accélère déjà de plus belle. Ça y est ! Je suis sur le Mur ! Enfin, j’ai pas trop le temps de réaliser. J’imaginais une route droite, mais ma moto avance en crabe et je contre-braque pour rester accroché… Je pense aux boulons, je les vois même pas, les lamelles craquent comme des allumettes, le tonneau bouge dans tous les sens, la moto est littéralement écrasée contre la paroi. Mon regard est perdu, j’ose à peine me demander comment descendre. Et à quelle vitesse : 50 ? 60 ? Tant pis ; je décélère et me laisse couler façon tire-bouchon pour redescendre au fond de la bouteille.

Je me retiens de me redresser et inverse même le mouvement. Penché à l’intérieur pour descendre, pas franchement naturelle comme conduite ! La moto raccroche le plan incliné, les suspensions se relâchent, je débraye, me revoilà enfin sur la terre ferme, les yeux rivés au sol.
Et ce fût de bière parié ? On verra ce soir, ma véritable envie c’est d’y retourner direct !

Le fruit d’une rencontre

Mais qui sont donc ces olibrius capables de se mettre ainsi la tête à l’envers pour faire revivre une telle attraction ? À l’origine, il y a un homme de théâtre. Bruno Marchand est comédien, metteur en scène et « pas du tout motard ». Mais personnage touche-à-tout et encyclopédie vivante de l’histoire foraine.

« Je suis sorti du conservatoire de Lille (Nord) en 1988. Des potes cherchaient des expériences théâtrales limites. Avec la troupe Raoul Duck Production, on emmenait les spectateurs faire du stock-car. On filmait leurs réactions, ça ressemblait au film “Crash” de Cronenberg. Et puis on a eu envie de vivre les expériences nous-mêmes. Alors on a racheté le Mur de la mort de la Foire du Trône. On a présenté des attractions dans les fêtes foraines des cités balnéaires, comme au Luna Park de Fréjus (Var). Trois pilotes en Honda CB 125… On avait imaginé une adaptation de Pylône, un roman de Faulkner sur les courses d’avions, avec des motos. Mais le Mur n’était pas restauré et il y a eu des incidents. Nous avons arrêté au bout de deux ans. La structure a été remisée dans une grange en Auvergne. »

La restauration

La suite est une succession de rencontres. « J’ai croisé Bruno à Aubusson en 2002, raconte Vincent Estaque. On parle moto, et Bruno me dit : “J’ai un Mur de la mort chez moi”. Tope-là, en septembre on l’avait racheté 15.000 francs. » S’ensuivent des années de restauration.
Les panneaux en pin, la cuve, les ferrailles rouillées, tout est patiemment rebâti, avant un premier montage durant l’été 2004. « Le directeur du théâtre Jean Lurçat d’Aubusson nous propose de le présenter au public, poursuit Bruno. En janvier 2006, on monte le Mur sur scène, à l’intérieur du théâtre ! Les performances artistiques présentées rencontrent un grand succès dans la ville. »

Le fameux cascadeur moto Dany Varanne est consulté pour donner des conseils sur le pilotage. Cette première étape permet à la troupe de décrocher 6000 € de fonds européens pour achever la rénovation. L’accastillage est entièrement réhabilité, et un bureau de contrôle délivre l’accord pour recevoir du public sur les gradins qui, perchés en haut du cylindre, accueillent 120 personnes. « Le Mur de la mort a été inscrit à l’inventaire supplémentaire de la Caisse des monuments historiques du Limousin en novembre 2007, se félicite Bruno. C’est mon château à moi », rigole Vincent…

Attraction moto et dramaturgie théâtrale

La troupe en est encore aux prémices de sa réflexion sur le spectacle.
Les représentations actuelles sont le reflet des attractions foraines présentées par Adrien Lapoumeroulie au XXe siècle à la Foire du Trône.
« Une passe de 25 minutes », précise Bruno, le « patron » qui, debout dans la fosse, coordonne les interventions des deux pilotes au sifflet. « On fait une chute en feuille morte, la montée en amazone, des embardées et la portée de rose à la Comtesse, cachée dans le public. » C’est précis, millimétré, des heures d’entraînement…
« Dans l’histoire du Mur de la mort, chaque pilote avait sa spécialité, narre Bruno. Lapoumeroulie était le roi de l’embardée. Les Américains font encore plus fort, comme l’amazone sans les mains. »

Ivresse

Mais Bruno voit plus loin. « La performance acrobatique est formidable mais s’il n’y a pas de mise en scène, tu ne la vois pas », explique l’homme de théâtre. Le metteur en scène souhaite nouer une intrigue autour du cylindre en bois. Cela impose de nombreuses contraintes, dont celle de concilier des qualités de pilote moto et de comédien. En attendant, le lieu est prêté à d’autres compagnies, car son ergonomie spécifique est prétexte à des performances artistiques.

« Le public est dans une configuration où l’on regarde en plongée, c’est peu ordinaire, explique Vince. Il bouge, participe. » De quoi inspirer les dramaturges. C’est dire que la troupe du Cylindre Théâtre fourmille de projets… Quant à notre journaliste cascadeur, il reprendrait bien un ticket pour un nouveau tour de lessiveuse.

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