Comparatifs

Gestion du patrimoine. Face au succès commercial d’une marque comme Harley-Davidson, qui capitalise sur ses sempiternels Sportster, Ducati – dont les chiffres de vente n’encouragent guère à l’optimisme – semble avoir tenu le raisonnement suivant : « Puisque nous ne pouvons lutter contre les Japonais, allons de l’avant différemment mais ne négligeons pas nos arrières. » Idem pour Triumph à qui l’on a longtemps reproché de se banaliser à l’orientale en oubliant son glorieux passé.

À qui s’adressent donc ces machines ? Aux quadras/quinquas qui ont connu, enfants ou ados, l’époque évoquée. Mais aussi, peut-être, à des jeunes désireux de vivre un passé illustré par le Joe Bar Team et paré de toutes les vertus, avec le temps, quand la technique contemporaine ne suffit plus à faire rêver.

La Sport 1000 appartient, avec la Paul Smart et la GT, à la lignée Sport Classic. Due comme ces consœurs au design de Pierre Terblanche, elle renoue avec l’esthétique de la 750 Sport de 1973. Même les pneus développés spécialement par Pirelli proposent un dessin à l’ancienne sur une gomme moderne. Strictement monoplace, la Sport 1000 affiche une ligne plongeante unique, soulignée par le dessin du réservoir en résine. On note le monoamortisseur latéral et le dessin banane du bras oscillant pour dégager la ligne d’échappement. La fourche inversée, une Marzocchi non réglable de 43 mm, est empruntée à la Monster S2R. Contrairement à la Paul Smart plus chère de 4 000 €, la Sport 1000 n’est pas équipée d’un amortisseur de direction. Le tableau de bord des Monster adopte des cadrans à fond blanc et, détail rétro, des rétros rectangulaires figurent en bout de guidon.

L’esthétique est pure et dure, typée compét’. En marge des repose-pieds non caoutchoutés, on note l’absence de carters latéraux en plastique et de passage de roue. Le coffre de batterie sous la selle et le fil de sonde de température d’huile se trouvent de ce fait très exposés (idem pour le fouillis de fils sous les carbus de la Triumph). Il n’empêche : produit emblématique, la Ducati dégage une aura de bête de race. Le réservoir renflé en résine constitue une pièce unique dans la production actuelle. Équipé d’un bouchon oblong à deux orifices façon ravitaillement d’endurance (avec couvercle de serrure à ressort, SVP), il s’orne, comme le capot de selle, de la calligraphie Ducati vintage. La boucle temporelle est bouclée…

Même si son style ne fait plus tourner les têtes face à cette aguicheuse et agressive nouveauté, personne ne reste insensible à l’aspect tout métal de la Thruxton, qui tire son nom d’un circuit londonien. Déco à damier, clef de contact sur le côté du phare, échappements à contre-cône chromés comme le logo de réservoir, carters massifs et ailetage façon alu/fonte, l’anglaise a du chien. À noter, les roues à rayons des deux café racers ne sont pas tubeless. C’est joli mais c’est un handicap en matière de sécurité (dégonflage rapide en cas de crevaison).

Pour finir ce bilan statique, comme le fait remarquer un de nos essayeurs amateur de bons mots, « la Triumph est une fausse vraie rétro, la Ducati une vraie fausse rétro. » Et d’expliquer devant nos mines interloquées que la partie-cycle de la Thruxton conserve des valeurs et une simplicité d’époque tandis que la Sport 1000 affiche une géométrie et des composants actuels sous un habillage rétro. Le distinguo est significatif.

Prise en main : Nescafé racer et ritale brutale

Mise en route : clef codée et injection pour la Ducati, carbus pour la Triumph avec tirette de starter ; 6 rapports pour l’italienne, 5 pour l’anglaise. Premier constat : la Sport 1000, sous la barre des deux quintaux tous pleins faits, se fait légère moteur coupé. Une fois en selle, c’est une autre histoire. Dire que cette Ducati n’est pas une sinécure en ville relève de l’euphémisme.

Énumérons… La position de conduite oblige à se tordre les cervicales pour surveiller l’environnement. L’embrayage, très dur (il s’agit d’un multidisque à sec à commande hydraulique), réclame 4 doigts pour être actionné à basse vitesse. En outre, le rayon de braquage pose problème : on a beau se coincer le pouce droit contre le réservoir, ça ne veut pas tourner. Le frein arrière, lui, est inopérant. La platine accueillant le pied gauche ne se prolonge pas assez en arrière et on ne sent pas l’appui. Au fil des embouteillages enfin, la sortie d’échappement du cylindre Ar dégage également beaucoup de chaleur à la hauteur du genou gauche. Bref, le café racer Ducati, ça se mérite !

En comparaison, la Thruxton joue sur du velours et seul le point mort est difficile à trouver. Même si les genoux viennent se placer en dessous du réservoir du fait d’une position de conduite décalée par les bracelets, on a l’impression, par rapport à la Ducati, de rouler dans un cocon. Comme l’écrivait il y a deux ans un de nos journalistes :
« La Thruxton, ce n’est plus un café, mais un Nescafé racer ! »

Harmonie et contraintes. Dès que le rythme s’accélère, les personnalités se précisent encore : la Triumph est une moto conciliante dont seule la ligne est sportive, la Ducati une pasionaria qui réclame un pilote. Ne serait-ce qu’en raison de sa démultiplication inadaptée et de sa position de conduite, la Sport 1000 n’est pas faite pour la balade mais pour l’attaque, tous sens aux aguets. En 6e à 130 km/h sur l’autoroute, l’aiguille du compte-tours pointe sur 4 000 tr/min et le moteur ne se situe pas encore dans sa zone d’expression. Sur route, à 90 km/h, il faut rouler en 4e voire en 3e pour bénéficier du couple à partir de 4 500 tours et de l’ambiance de ce bloc 2 soupapes, qui se fait rageur à 7 000 tr/min pour couper à l’approche des 9 000.

Moteur : la crème anglaise

Le vertical twin de la Thruxton ne distille aucune vibration, juste une agréable rondeur avec une courbe de couple étale et une sonorité à la fois flatteuse et politiquement correcte. L’anglaise, très sage, rend 21 ch et 2,1 m.kg à la Ducati alors qu’elle pèse 27,5 kg de plus. Pourtant, en usage non sportif, la Triumph ne donne l’impression ni d’un « âne mort » ni d’un « poumon ». La preuve de son équilibre et de son harmonie. Il s’agit d’une moto simple à l’air gentiment canaille. Conçue pour la balade, son poids et ses suspensions lui feront déclarer forfait là où un pilote sur la Ducati commencera enfin à en profiter. Cela étant, double disque et étriers 2 pistons ne confèrent pas à la Sport 1000 le mordant escompté. De plus, sa fourche claque sous les freinages appuyés sur mauvais revêtement. Le disque arrière manque également de puissance, ne serait-ce que pour tendre la moto en courbe. En comparaison, le freinage de la Triumph est parfait, le disque avant à étriers 4 pistons convenant au type de conduite que la plupart des utilisateurs adopteront.

Étonnamment, les suspensions de la Ducati sont typées confort. La Sport 1000 n’est pas une moto qui chahute son pilote, même si sa fourche trop molle n’amortit pas toujours au mieux les secousses. Moins sophistiquées et moins performantes, les suspensions classiques de la Triumph n’appellent pas de reproche, malgré les combinés Ar limités et la souplesse de la fourche. Et hormis de légers louvoiements à l’approche de la vitesse maxi, la basique Thruxton reste saine.

Verdict

Comme résume laconiquement Stephen, notre photographe, à propos de la Ducati : « Avec une 999, tu sais pourquoi tu souffres. Tandis que là… » La Ducati ne se complaît en effet, du fait de sa position de conduite, qu’en usage intensif, en rentrant les rapports et en appuyant les genoux contre les renflements du réservoir. Bourre solitaire ou entre potes exigée, voire usage piste, voilà la vraie destination de cette moto.
Beaucoup plus facile à utiliser au quotidien, la Triumph Thruxton se destine à des utilisateurs apaisés qui recherchent ambiance vintage et comportement actuel sans se préoccuper de performances. Elle adore les petites routes quand sa rivale du jour préfère les grandes courbes bien revêtues.

Côté tarif, les 2 000 € supplémentaires exigés par l’élitiste Ducati peuvent se justifier en termes de plaisir des yeux, de qualité perçue sur certaines pièces (ah, ce réservoir à l’ancienne !) et de performances. Mais une chose est sûre, malgré sa modestie, la Triumph ne perd pas la face grâce à son capital sympathie et sa facilité d’usage. On peut aussi l’équiper de nombreuses options, onéreuses : grippe-genoux, saute-vent, béquille centrale, etc. Fraction dure ou apaisée : chacune campe donc dans son camp et c’est très bien comme ça. Le café de l’un n’est pas toujours la tasse de thé de l’autre…

Avec la participation de Mathieu de la Boutresse

Publicité

Commentaire (0)

Infos en plus